Peut-on être renvoyé pour une liaison au travail rendue publique ?
Une liaison entre collègues révélée au grand public peut-elle justifier un licenciement ou une révocation en France ?
Cette question n’est pas dénuée d’intérêt compte tenu de la récente révélation d’une relation adultérine en plein concert. Pour rappel, les faits sont les suivants : le 16 juillet 2025, lors d’un concert de Coldplay aux États-Unis, une scène anodine captée par une « kiss cam » est devenue virale sur les réseaux sociaux : un homme et une femme, visiblement complices, échangent un baiser sous les acclamations du public.
Sauf que les deux protagonistes sont respectivement PDG et DRH de la même entreprise, tous deux mariés, mais non l’un à l’autre.
Résultat : démission immédiate du dirigeant et départ de la directrice des ressources humaines.
- Qu’en est-il pour les salariés ?
- Le principe : la prévalence du droit à la vie privée
En France la règle est limpide : le droit à la vie privée prime. Contrairement à ce que prévoient certaines entreprises américaines, où les relations amoureuses entre collègues doivent parfois être déclarées ou même interdites par le règlement intérieur, le droit français est beaucoup plus protecteur des libertés individuelles.
L’article 9 du Code civil, qui garantit le respect de la vie privée, s’applique pleinement à la sphère professionnelle. De même, l’article 1121-1 du Code du travail interdit toute restriction aux libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
De plus, l’article L1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Autrement dit, avoir une relation sentimentale même adultérine avec un collègue n’est pas en soi une faute professionnelle. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, un fait relevant de la vie personnelle ne peut pas, par principe, justifier un licenciement disciplinaire.
La Cour de cassation a par exemple pu considérer que le licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement. Le simple fait que la conversation soit de nature privée et sans rapport avec l’activité professionnelle empêche la justification du licenciement, qui est alors nul comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié (Cass. soc. 25-9-2024 n° 23-11.860).
- L’exception : un licenciement possible uniquement en cas de trouble objectif
Cependant, il existe une exception bien connue des juristes : celle du « trouble objectif » causé à l’entreprise. Cela signifie que si la relation entre collègues perturbe gravement le fonctionnement de la structure (tensions internes, conflit d’intérêts, désorganisation, image dégradée, etc.), un licenciement peut être envisagé, non pas à titre disciplinaire, mais sur la base d’un motif personnel.
Encore faut-il, bien sûr, que ce trouble soit réel, objectivement constaté et directement lié à l’activité professionnelle. La simple existence d’une liaison, ou même sa médiatisation sur les réseaux sociaux, ne suffit pas. Le salarié ne peut être sanctionné que si son comportement a un effet concret sur la vie de l’entreprise.
La Cour de cassation a par exemple pu admettre un licenciement lorsqu’une reprise de poste provoquait un mouvement de grève parmi les salariés. Un salarié ayant fait l’objet de condamnations pénales avait été réintégré, mais son retour avait déclenché un mouvement de grève et une vive opposition au sein de l’équipe.
La Cour a admis que le licenciement fondé sur le trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise était légitime. (Cass. soc., 13 avril 2023, n° 22-10.476)
La Cour de cassation a également déjà admis un licenciement d’un responsable des ressources humaines qui avait dissimulé une relation amoureuse avec une salariée titulaire d’un mandat syndical. Cette dissimulation, compte tenu de ses fonctions et de son rôle dans la gestion des relations collectives, constituait un manquement à son obligation de loyauté. La Cour a jugé que ce comportement rendait impossible la poursuite du contrat de travail, justifiant ainsi un licenciement pour faute grave. (Cass. Soc, 29/05/2024, n°22-16.218)
- Qu’en est t-il pour un dirigeant d’entreprise ?
S’agissant d’un PDG, la règle est différente. En France, les dirigeants mandataires sociaux (PDG, directeurs généraux, présidents de SAS) peuvent être révoqués ad nutum, c’est-à-dire sans justification, sauf stipulation statutaire contraire.
Cependant, même en cas de révocation libre, celle-ci ne doit pas porter atteinte de manière abusive aux droits fondamentaux de la personne concernée. En particulier, la jurisprudence rappelle que le droit au respect de la vie privée constitue une liberté fondamentale. Une révocation fondée uniquement sur un fait relevant de la vie privée, sans aucun lien démontré avec l’intérêt social ou le bon fonctionnement de la société, pourrait donc être jugée abusive et ouvrir droit à réparation.
Il convient également de noter que si le dirigeant cumule son mandat avec un contrat de travail, alors la rupture de ce dernier obéira aux règles classiques du licenciement : cause réelle et sérieuse, respect de la procédure, indemnités, etc.
- Et le droit à l’image?
En effet, l’autre volet juridique de cette affaire concerne la captation et la diffusion de la scène intime sur les réseaux sociaux. Là encore, le droit français est protecteur.
Le droit à l’image fait partie du droit au respect de la vie privée. Il protège toute personne contre une utilisation non consentie de son image.
- Dans un lieu privé, tout d’abord, la règle est claire : Il est interdit de filmer quelqu’un sans son autorisation. L’article 226-1 du Code pénal précise que cela est constitutif d’un délit passible d’un an de prison et de 45 000 € d’amende.
- Dans un lieu public, en principe, filmer une personne n’est pas pénalement répréhensible, sauf si cette personne est isolée et identifiable, et que la captation de son image porte atteinte à sa dignité sauf si cette diffusion se justifie par un débat d’intérêt général.
En l’espèce, la captation d’un baiser entre deux collaborateurs, parfaitement identifiables et sans leur autorisation, dans un contexte dénué d’intérêt public, pourrait constituer une atteinte au droit à l’image et plus largement au droit à la vie privée, susceptible d’engager la responsabilité civile de l’auteur de la diffusion.
Toutefois, il existe un principe qui est que la faute de la victime qui a contribué́ à la réalisation de son propre dommage emporte en principe exonération partielle de la responsabilité de l’auteur de la divulgation de l’image.
En l’espèce, on parle de kiss cam parfaitement visibles, qui ont mis en avant divers couples. Il y avait une sorte d’acceptation de la captation de leur image de la part du couple et ceux-ci auraient pu dès lors se montrer plus discrets.
Dans une manifestation sportive ou lors d’un concert, il est difficile de prétendre ne pas être au courant de la possibilité d’être filmé. Néanmoins ce qui peut être contesté, c’est la diffusion des images hors du cadre de l’événement.
Conclusion
En droit français, une liaison amoureuse entre collègues, même adultérine, ne constitue pas un motif de licenciement, tant qu’elle ne crée pas un trouble objectif dans l’entreprise.
Pour les dirigeants, la révocation est libre mais ne peut pas être abusive.
Ce que protège le droit, avant tout, c’est la liberté et l’intimité de chacun, y compris dans le cadre professionnel.